Petit Rouge

Do the Right Thing - Spike Lee (1986)

15/04/2020

TAGS: lee, social, cinéma

Cette comédie dramatique américaine réalisée, écrite et produite par Spike Lee en 1989 suit les habitants d'un quartier de Brooklyn en pleine canicule. Le personnage principal, Mookie (interprété par Spike Lee lui-même), est un livreur de pizza qui travaille dans un restaurant tenu par des italo-américains dont Sal est le patron. Le quartier de Bedford-Stuyvesant est cosmopolite: noirs, blancs et asiatiques y cohabitent. Avec la chaleur élevée, les esprits s'échauffent autour de conflits de communauté et d'incompréhensions ethniques. Jusqu'à la survenue ultime d'une émeute provoquée dans la pizzeria suite à des éclats de voix entre la famille italo-américaine qui tient le restaurant et quelques noirs du quartier. Irrité par le volume sonore de la radio de Raheem dans son restaurant, Sal la détruit à coup de batte de baseball et les violences s'accélèrent. Mookie détruit la vitrine de la pizzeria, Sal est pris à parti par Raheem, les policiers arrivent et neutralisent ce dernier jusqu'à la mort. Rythmé par "Fight the Power" de Public Enemy, ce film affirme ses ambitions: dénoncer le racisme du quotidien.

La question soulevée par ce film concerne les moyens de la lutte sociale et de l'affirmation des noirs: faut-il prôner le pacifisme de Martin Luther King ou adhérer à la violence légitime de Malcom X ? Si ce film sorti en 1989 pouvait apparaître novateur à l'époque pour sa mise en avant les violences policières faites aux noirs et la progressive gentrification de Brooklyn, l'ambiguïté du message de Spike Lee est dérangeante. L'émeute est initiée par le personnage de Spike Lee lui-même, pourtant choyé et respecté par ses employeurs italiens. Jusqu'au 3/4 du film, Mookie semble en effet être le personnage le plus conciliant. La violence de ce dernier sort presque de nulle part, on s'attendait plus logiquement à ce qu'il joue un rôle plus pacificateur que provocateur vu sa proximité avec Sal. Malgré les deux citations de fin contradictoires de Martin Luther King et Malcolm X, Spike Lee n'aurait-il pas choisi son camp ?

Ce qui ressemble de prime abord à une comédie sociale haute en couleur, tant les personnages qu'elle dépeint semblent n'être que la caricature d'une diversité maladroitement retranscrite sur grand écran, finit par poser problème. Mookie est le seul noir à travailler, tous les autres personnages noirs vagabondent dans les rues. Est-ce que Spike Lee a voulu témoigner de la discrimination sociale des noirs sur le travail ? Si c'est le cas, ce point est amené avec beaucoup de maladresse car elle n'y est jamais vraiment mise en avant explicitement. La seule indication à ce sujet concerne Mookie, qui semble galérer pour joindre les deux bouts et réclame régulièrement sa paie à Sal, même après l'incendie du restaurant qu'il a contribué à provoquer. Les trois afro-américains assis dans la rue constatent leur situation, comparativement à celle des commerçants koréens. De plus, les seules revendications politiques noires concernent la demande impérative du fauteur de trouble Buggin Out d'afficher des photographies de personnalités noires dans le restaurant de Sal, muré de photographies de personnalités italo-américaines. Cette revendication semble bien pauvre et malvenue comparativement à la bavure policière qui survient par la suite. On pourrait plutôt imaginer une manifestation communautaire après le meurtre de Raheem. Or le quartier semble endormi et déserté après son assassinat. Les deux messages cités à la toute fin du film semblent en décalage total avec l'histoire. Est-ce que Spike Lee a voulu témoigner d'une régression sociale des noirs de son époque ? Encore une fois cela n'apparaît pas évident dans le film, puisque ces messages ne concernent que la question de la légitimité de la violence et non pas d'une quelconque mise à l'écart sociale.

Dans sa manière de dénoncer le racisme Spike Lee enfonce le clou trop loin, avec un manque de subtilité et de finesse notable. Le film souffre de plus d'une certaine longueur jusqu'au climax final, sans doute pour présenter un trop plein de personnages qui ne contribuent pas tous de manière égale à l'intrigue. Ce point est compréhensible toutefois, Spike Lee a vraisemblablement voulu présenter avec sincérité une vie de quartier animée et haute en couleur. Il est probablement difficile de comprendre le contexte si particulier des revendications afro-américaines avec des yeux européens. Peut-être que ce film doit uniquement et simplement être considéré comme un gros doigt d'honneur à l'establishment, dont les policiers sont ici les seuls représentants. Le "Fight the Power" de Public Enemy scandé tout au long du film témoigne en ce sens.