Petit Rouge

Essays - George Orwell

28/03/2020

TAGS: orwell, essai

 All art is propaganda

Arrivé à mi-parcours, je n’étais toujours pas complètement convaincu par cette compilation d’essais de George Orwell. J'espérais lire davantage de textes sur le langage qui ont enfanté ou accompagné sa théorie de la novlangue dans 1984. Mais j’ai ravisé cette impression plus tard, en réalisant que ce recueil était probablement un pot-pourri qui, bien qu’incomplet, contient par contre ses meilleurs textes. Et que j’y trouvais finalement mon compte concernant ses remarques pertinentes sur le langage.

La première partie des essais collectés sont essentiellement des commentaires de lecture (Dickens, Henry Miller) qui bien qu’abordés sous l’angle social ne m’ont pas toujours emballé. Il évoque dans "Inside the whale", les tentations idéologiques d'un grand nombre d'écrivains. Pour en arriver à Henry Miller, auteur amoral, plus cynique et précurseur d’un individualisme égoïste et désintéressé idéologiquement.

Dans « My country right or left », Orwell fait preuve de clairvoyance : il sait déjà après le pacte Germano-Soviétique de 1939 que la guerre est inévitable. Il finit vraiment par aborder véritablement le point de vue des petites gens dans « The Lion and the Unicorn », une prémisse à la « common decency » chère à Michéa. Écrit pendant la seconde guerre mondiale, Orwell y détaille les spécificités anglaises et explique en quoi le Royaume Uni est sauvé jusqu’à un certain point du totalitarisme. Mais Orwell rappelle que le Royaume Uni est un pays dirigé par de riches incapables qui n’ont pas su voir en Hitler une menace sérieuse. Son expérience en Espagne pendant la guerre civile lui a donné un sens aigu du danger totalitaire. Il est admirable de constater chez lui à la fois de la méfiance vis à vis du totalitarisme nazi mais aussi de celui du communisme russe. Pour Orwell, l’Angleterre peut être sauvée du fascisme par le socialisme. Je l’avais lu il y a quelques années déjà et une piqûre de rappel était bienvenue.

All left-wing parties in the highly industrialized countries are at bottom a sham, because they make it their business to fight against something which they do not really wish to destroy. (« Rudyard Kipling »)

Ses souvenirs de la guerre civile en Espagne dans « Looking Back on the Spanish War » sont l’occasion pour lui de rappeler une évidence: à savoir que la guerre provoque chez tous ses participants une perversion liée à la mémoire sélective. La propagande, selon le camp, est sujette à des distorsions d’information parfois énormes. Telle bataille au bilan humain considérable sera par exemple passé sous silence. La guerre, même du côté du « bien » est dégueulasse et n’efface pas la bêtise humaine. Ces partis-pris rendent la tache de l’historien complexe. Orwell apparaît dans ce texte plus effrayé par cette sélectivité de l’information que par les atrocités dont il a été le témoin.

We live in an age in which the average human being in the highly civilised countries is aesthetically inferior to the lowest savage. (Poetry and the microphone)

Cette incroyable phrase sous-entend qu’un des problèmes de l’être humain moderne tient à son incapacité à se hisser vers le haut par la culture. On sent bien avec cet article (et d’autres) qu’Orwell pointe du doigt le manque d’élévation culturelle propre à chacun, qui explique peut-être le fait que la classe ouvrière n’a probablement pas encore les moyens de devenir la classe révolutionnaire. Orwell rappelle que la classe dominante maintient son pouvoir grâce au manque de structure idéologique et culturelle de la classe ouvrière (« … but because all the broadcasting that now happens all over the world is under control of governments or great monopoly companies which are actively interested in maintaining the status quo and therefore in preventing the common man from becoming too intelligent »).

Fort de ses expériences, il détaille les thèses que l’on retrouve dans certaines de ses œuvres, telles que « La ferme des animaux » et « 1984 ». Par exemple, au sujet de l’importance d’avoir la mainmise sur l’histoire dans un monde totalitaire:

From the totalitarian point of view history is somerhing to be created rather than learned. (The Prevention of Literature)

La bureaucratie soviétique ou le fascisme ne sont pas les seules entités totalitaires à subir les critiques d’Orwell. Il est aussi conscient que la liberté d’expression de l’écrivain se bute aussi aux pressions économiques dans les sociétés dites libérales.

Political language - and with variations this is true of all political parties, from Conservatives to Anarchists - is designed to make lies sound truthful and murder respectable, and to give an appearance of solidity to pure wind. (Politics and the English Language)

Son écriture comme d’habitude est simple et claire. Il n’y a jamais de verbiage chez lui, c’est agréable. On a toujours l'impression qu'il vise juste, qu'il a ultimement raison. Son érudition est de plus incroyable, on sent qu'Orwell est un rat de bibliothèque qui a passé énormément de temps à lire. Où a t’il trouvé, sachant cela, le temps de faire tout ce qu’il a vécu (les colonies britanniques, la dèche à Paris et à Londres, la guerre en Espagne) ? Ce qu’il y a d’encore plus incroyable chez lui, c’est sa profonde humanité. Orwell décèle chez toute personne qu’il croise, même ses ennemis idéologiques, une certaine vitalité. Ces « essais » ne ressemblent pas à des essais tels que les écriraient un intellectuel français. Il n’y a absolument aucune pédanterie chez lui, aucun de ces travers orgueilleux que l’on voit si souvent dans l’intelligentsia française.

La simplicité apparente de son langage est une illusion. Certains de ses essais permettent de réaliser son énorme travail stylistique. D’une certaine façon elle permet une certaine vulgarisation de pensée. Ces essais s’inscrivent dans une démarche d’éducation populaire qui, débarrassée des jargons et autres pédanteries intellectuelles, permet à n’importe quel lecteur de comprendre les enjeux du socialisme démocratique, de la liberté d’expression et de l’importance de s’élever culturellement pour identifier le totalitarisme et toutes formes d’aliénation de l’être humain. Je ne vois guère qu’Albert Camus en France qui ait proposé au plus grand nombre un contenu théorique simple d’accès. Camus étant parfois mal considéré par l’intelligentsia pour n’être qu’un « philosophe de classe terminale », cela explique peut-être pourquoi Orwell, qui s’inscrit à mon sens dans une même dynamique, n’est pas considéré comme un penseur sérieux en France.

Le recueil comporte quelques articles assez futiles néanmoins. Je crois que l’éditeur a voulu apporter de la diversité et montrer la polyvalence d’Orwell sur un grand nombre de sujets. Et montrer par la même son incroyable curiosité et humanité. Il rappelle d’ailleurs au lecteur dans sa quatrième de couverture que quiconque souhaite comprendre le vingtième siècle devra lire Orwell. Mais l’édition souffre du coup d’un certain manque de cohérence. Destiné au plus grand nombre, cette introduction à la pensée d’Orwell est pourtant une bouffée d’air frais salutaire.