Conseillons la lecture de ce petit livre à tous les rascleux qui briguent un poste... Tous les politicards délirants qui nous pèsent tant sur l’estomac tant ils sont épais... L’épaisseur, c’est bien là le drame ! (Tardi)
J’avais acheté la réédition de « Polonius » période Gallimard, mais il manquait l’extraordinaire préface bien hargneuse de Tardi dans sa version originale cartonnée du Futuropolis originel. Alors je l’ai revendue pour racheter cette version qui me semble plus pertinente, en plus d’avoir une plus belle couverture.
Cette bande dessinée parue initialement dans Métal Hurlant raconte donc l’histoire de Polonius, un jeune homme bien bâti qui souhaite se rendre dans la cité de Ru pour échapper à la misère des steppes. Il se retrouve très vite au bagne après avoir été arrêté pour espionnage. Désireux d’échapper à cet enfer, il sauve le général Hegypios de la noyade en sacrifiant salement son collègue bagnard auquel il était enchaîné. Sauvé du bagne par cette occasion et pris du même coup sous la tutelle d’Hegypios, Polonius va gravir les échelons et vivre de manière aussi décadente que la cité de Ru...
Si on se pose des questions sans arrêt, on se complique l’existence pour rien (Hegypios)
On réalise avec l’expédition du savant Chimos, financée par l’empereur pédophile Gommurge à laquelle participe Polonius que l’histoire se déroule dans un futur post-apocalyptique où subsistent quelques traces du passé. Souhaitant rapporter des preuves de l’existence de cet âge d’or aux habitants de Ru pour éveiller leur conscience pervertie, leur mission se solde d’échecs et Polonius finit par perdre toutes ses illusions. Il embrasse pleinement la décadence de la cité jusqu’à la survenue d’une épidémie de peste qui y met définitivement fin en décimant tous ses habitants.
Renoncer, mourir. Accepter son sort, se résigner pendant que d’autres oppriment le peuple et festoient à longueur de journée. (Polonius)
Cette histoire de Picaret dessinée par Tardi est d’une noirceur sans égale dans son œuvre, et même dans le paysage de la bande dessinée en général. Bande dessinée d’une violence et d’une pornographie inouïe, « Polonius » est une fable désespérée sur l’ambition. Bien que le personnage principal soit conscient de la décadence dans laquelle il évolue, il grimpe les échelons et finit même par se prostituer pour se maintenir hors de la misère, au détriment d’une base qui baigne dans une pauvreté morale inimaginable.
Le dessin de Tardi n’a pas encore atteint sa maturité complète dans cette bande dessinée. Certaines cases semblent presque bâclées. Mais elle est tellement unique par ses thèmes sombres et malsains, ainsi que pour sa portée morale que je reviens régulièrement sur elle pour me rappeler l’inanité de la gloire et de la quête de pouvoir. La préface de Tardi permet encore une fois d’insister davantage sur ce point et confirme son positionnement déjà très anarchiste et moralement inattaquable. Tardi aura donc évolué relativement seul, probablement sans se compromettre au cours de sa carrière, et s’était déjà inscrit dans mon panthéon personnel lorsque j’avais découvert « Polonius » étant gamin. Elle ne pouvait pas être parue ailleurs que dans cet incroyable bouillon de génie qu’à été Métal Hurlant, tellement le contenu graphique est les thèmes sont adultes. Je n’ai jamais lu une bande dessinée d’une noirceur aussi puissante que celle-ci, malgré un manque de maturité graphique relatif de Tardi. Il me semble que seul « Péplum » de Blutch s’inscrit dans la filiation de « Polonius », en étant toutefois moins désespéré et plus abouti sur la forme (ces deux œuvres n’étant pas comparables sur tous les plans malgré tout). Je garderai précieusement cet ouvrage qui est tellement original, non seulement dans l’œuvre de Tardi, mais aussi dans la bande dessinée en général.