Il poussa un profond soupir en se disant qu’enfin il était sur Trantor, le centre de la Galaxie, le berceau de la race humaine.
En ce début de treizième millénaire, l'Empire n'a jamais été aussi puissant, aussi étendu à travers toute la galaxie. C'est dans sa capitale, Trantor, que l'éminent savant Hari Seldon invente la psychohistoire, une science nouvelle permettant de prédire l'avenir. Grâce à elle, Seldon prévoit l'effondrement de l'Empire d'ici cinq siècles, suivi d'une ère de ténèbres de trente mille ans. Réduire cette période à mille ans est peut-être possible, à condition de mener à terme son projet : la Fondation, chargée de rassembler toutes les connaissances humaines. Une entreprise visionnaire qui rencontre de nombreux et puissants détracteurs...
Publié en 1951, donc au début de la guerre froide, Asimov fait preuve avec ce roman d’une incroyable clairvoyance visionnaire. Il y détaille la décadence d’un Empire et la lente construction d’un nouveau pouvoir universel suite aux prédictions d’Hari Seldon. Ce déclin se veut calqué sur la chute de l’empire romain, mais il s’agit surtout pour Asimov de rendre compte de la propre décadence des sociétés occidentale, arrivé à la fin de la première moitié du vingtième siècle.
« Fondation » est découpé en cinq parties. La première est consacrée aux psycho-historiens, dont Hari Seldon est le créateur menacé par l’Empire Galactique pour trouble à l’ordre public, suite à ses prédictions subversives. La deuxième partie consacrée aux Encyclopédistes se déroule plusieurs dizaines d’années après les prédictions et le projet de Seldon, et marque paradoxalement le début d’un stade de stagnation des connaissances. La troisième partie, consacrée aux maires de Terminus, relate la crise qui oppose ses habitants au royaume barbare d’Anacréon et le début d’une mainmise politique et religieuse dans la destinée de la Fondation. La quatrième, très courte, est consacrée aux rôles grandissants des Marchands de Terminus dans sa périphérie. Et enfin, la cinquième voit les Grands Marchands représentés par Hober Mallow prendre la tête de la Fondation. Chacune des parties de ce roman permet à Asimov d’aborder différents aspects du pouvoir. Elles se terminent d’ailleurs toutes sur un climax. Le suspense est à son comble lors de ce qui est appelé au cours du roman une « crise Seldon », un instant dans l’histoire où l’intégrité de la Fondation est ébranlée et sa destinée mise en péril. Hari Seldon aura l’occasion de réapparaître sous forme d’hologramme à deux reprises, à chaque fin de crise pour valider ses prédictions aux différents protagonistes. Asimov décrit de manière convaincante et passionnante les manipulations qui accompagnent ces jeux de pouvoir.
Pourquoi ce roman est incroyable et visionnaire ? Car il balaye et synthétise différents moments du pouvoir dans l’histoire de l’homme et va même jusqu’à anticiper la mise en place d’un nouvel ordre unipolaire (en prévoyant par exemple la chute du bloc soviétique). Ce livre n’est donc pas tant un roman de science-fiction qu’un prétexte pour présenter une synthèse très convaincante des guerres de pouvoir à travers les âges, jusqu’au vingtième siècle. Ce qui démarre comme une utopie de connaissance avec la rédaction d'une Encyclopédie qui couvrirait l'intégralité du savoir humain évolue très vite vers la politique, incarné dans un premier temps par Salvor Hardin, maire de Terminus et parachevé par Hober Mallow, un entrepreneur puissant. Cette planète située aux confins de la galaxie doit être le point de départ de l'établissement de ce nouvel empire tel que prédit par Seldon. Ce livre est donc ancré dans son époque de publication. Il évoque en particulier l'escalade des planètes périphériques à Terminus pour l’obtention de l’arme nucléaire, qui fait écho au contexte de guerre froide au vingtième siècle. Le Commodore de la planète Korell, Asper le Bien-Aimé, fait l’objet d’un culte de la personnalité qui rappelle aussi celui du petit père du peuple Staline.
Ce roman détaille donc les efforts de l’empire de Terminus, la Fondation, pour coller au déterminisme des prédictions de Seldon. Le pouvoir sur ce tome prend plusieurs formes. Il démarre avec la naissance d’une religion du progrès façonnée par Salvor Hardin qui domine les planètes barbares périphériques à Terminus. Ces royaumes adulent le savoir développé et maintenu par la Fondation. Il est convoité par les plus éclairés d’entre eux. Le progrès est pour Asimov une religion et la détention de la connaissance est le dogme sur lequel la planète Terminus base sa domination. L’idée que le pouvoir vient de la connaissance prend corps dans ce roman (« knowledge is power »).
La soif de pouvoir et la volonté illimitée de convertir les différents ennemis au bien-fondé de leur vision n’est pas sans rappeler l’histoire récente des « démocraties occidentales ». Il est d’ailleurs brillant chez Asimov d’avoir l’intuition d’un totalitarisme qui avancerait masqué sous l’apparence bien-pensante du progrès. Si les premiers encyclopédistes ont véritablement cette soif de connaissance et un pacifisme authentique qui les aveugle, le développement du roman présente la perversion et la corruption du pouvoir par l’idée de progrès. Je suppose que l’encyclopédie de la Fondation est directement calquée sur celle du siècle des Lumières.
Hober Mallow apparaît à la fin de l’ouvrage comme un personnage décomplexé dans sa quête de pouvoir et de la richesse.
Vous voulez dire que nous imposons notre religion ? fit Mallow, en se redressant.
Il enchaîne, un peu plus loin:
Je suis un Maître Marchand. Ma religion à moi, c’est l’argent.
Mallow renouvelle les moyens de domination en proposant à tous les ennemis de la Fondation la société de consommation. La religion du progrès est progressivement remplacée par la religion de la marchandise. La guerre économique apparaissant à la fin du roman comme une arme plus efficace que l’arme nucléaire.
... le rôle de la religion est achevé. Le contrôle par le biais de l’économie a donné de meilleurs résultats. (Mallow)
Encore une fois la clairvoyance d’Asimov est remarquable sur ce point. La puissance nucléaire n’aura pas suffi à une Union Soviétique étouffée par le libre-échange économique institué aux États-Unis. Je mets ma main à couper qu’Asimov a analysé le libre échange comme une conséquence directe du siècle des Lumières.
Le roman s’achève sur le triomphe éclatant de Mallow, le premier des Princes Marchands. L’histoire de la Fondation ne s’arrête pas avec ce roman, malheureusement. Je ne suis pas fanatique des suites en littérature. Mais ce roman m’a semblé tellement brillant que je choperai probablement « Fondation et Empire » et « Seconde Fondation » dans le futur. « Fondation » est un modèle d’éveil des consciences que seule la science-fiction est capable de proposer. À suivre donc...