Cette intégrale des enquêtes de Nestor Burma dessinées par Tardi, basée sur les romans de Léo Malet mérite une chronique. Je ne suis pas un grand fanatique de polars en général, mais la série Nestor Burma m’est particulièrement sympathique par le dessin monochrome de Tardi. Cette intégrale comprend les bande-dessinées suivantes : « Brouillard au pont de Tolbiac », « 120 rue de la Gare », « M’as-tu vu en cadavre ? » et « Casse-pipe à La Nation ».
Nestor Burma est un détective privé qui dirige, avec l’aide de son assistante Hélène Châtelain, l’agence Fiat Lux située à Paris. Personnage bourru mais pas dénué d’empathie, doué d’une forte capacité d’analyse, d’investigation et de déduction en plus d'avoir une personnalité très affirmée, Nestor Burma résout des énigmes qui lui tombent souvent dessus sans crier gare. La police officielle, dont le commissaire Faroux est le principal représentant, se méfie de lui et de ses méthodes mais le sollicite aussi parfois pour résoudre leurs enquêtes. Il sait de plus s'entourer d'indicateurs ou de journaliste, comme Marc Covet du journal "Le Crépuscule", pour glaner des informations précieuses. Dans ces histoires, Nestor Burma est parfois amené à recroiser des fantômes d’un passé de jeune anarchiste ou de prisonnier du Stalag pendant la seconde guerre mondiale.
Ce qu’il y a de remarquable dans cette série, c’est le contexte global dans lequel se situent les histoires. Les enquêtes de Nestor Burma, le détective qui met le mystère K.O, se déroulent principalement à Paris après la seconde guerre mondiale. Fait notable, Léo Malet déroule généralement une histoire dans un arrondissement de Paris bien précis. Tardi retranscrit visuellement l'apparence d'un Paris en pleine mutation, modernisé et urbain. La France est en reconstruction après l’énorme gueule de bois d'après-guerre, et d’une certaine façon les travers de l’être humain n’ont pas disparu avec elle. Des meurtres, des affaires criminelles, des butins de casses disparus, Léo Malet propose au lecteur des ressorts finalement classiques de polars, mais avec toutefois des petits plus qui rendent la lecture haletante. En déployant une histoire avec un contexte géographique et historique très marqué, les enquêtes de Nestor Burma sont ainsi plus intéressantes à lire qu’un bête polar. Il est d’ailleurs très possible que cette contextualisation soit aussi imputable à Tardi, connaissant son engagement politique. Les murs de Paris sont parfois embellis de graffitis politiques, par exemple sur la guerre d’Algérie et le FLN. Le langage utilisé est aussi très particulier, les personnages utilisent assez souvent des termes argotiques ou des expressions d’époque qui contribuent à rendre les histoires toujours plus originales.
« 120 rue de la Gare » est le chef-d’œuvre de cette quadrilogie, en plus d’être l’ouvrage le plus long du recueil et le premier roman de la série initiée par Léo Malet. L’intrigue débute dans un stalag en Allemagne, se développe à Lyon et se résout dans Paris occupé. Le style de Tardi y est déjà abouti, presque déjà figé à sa date de parution en 1988 et n'a plus vraiment évolué depuis. Il sublime le roman de Léo Malet par ses découpages narratifs et sa mise en page. Cela semble tout à fait naturel chez lui car il est lui-même fanatique de polars (il a aussi adapté certains livres de Jean-Patrick Manchette) et qu'une partie de l'histoire se déroule dans un contexte de guerre mondiale qu'il connaît bien par son histoire familiale (plus tard il adaptera les souvenirs de captivité de son père pendant la seconde guerre mondiale dans "Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II-B").
Il y a donc une alchimie entre les histoires de Léo Malet et la maîtrise artistique de Tardi. Ce dernier s'est complètement approprié les enquêtes de Nestor Burma pour produire de véritables chef-d’œuvres de bande-dessinée. Sa maîtrise de la narration et son implication dans le récit, en donnant vie et en attribuant de la personnalité aux personnages sont remarquables. Je pense conserver cette intégrale en édition limitée dans ma bibliothèque, car je reviens régulièrement sur ces enquêtes très agréables à lire.