Petit Rouge

Lettre à D. - André Gorz

04/02/2020

TAGS: gorz, autobiographie

Il y a quelque chose de dérangeant dans cette lettre d’André Gorz à sa femme. Bien que très touchante. Surtout connaissant le contexte dans lequel elle a été écrite. Je ne sais pas exactement quoi, sans doute une forme de pudeur chez moi qui m’empêche tout simplement de dire ou d’entendre des mots d’amour. André Gorz et sa femme Dorine ont donc vécu un amour unique, qui mérite pourtant bien cette lettre par la longévité de leur histoire et l’aspect incroyablement fusionnel de leur union. En retraçant l’histoire de la relation avec sa femme, Gorz se permet une courte autobiographie tant elle a eu une place importante dans sa vie. C’est exceptionnel. Mais encore une fois, je me suis senti un peu mal à l’aise en lisant ce compte-rendu d’une histoire d’amour décrite avec pourtant beaucoup de retenue. Peut-être est-ce quelque chose de très Breton. L’amour dans l’historique breton des gwerz est quelque chose d’indicible tant cela est lié à la mort. La femme du pêcheur parti en mer, sans avoir la certitude d’en revenir, est une image qui me hante encore aujourd’hui. L’amour y est implicite et n’est jamais dévoilé, à part dans la mort. J’ai en tête ce gwerz célèbre intitulé « Marv eo ma mestrez » (en français « Ma bien-aimée est morte »). Sauf cas exceptionnel, je me cache pour pleurer ou témoigner de l’affection. Ce qui explique le malaise ressenti lors de cette lecture avant son dénouement. Si cette lettre n’était pas une lettre d’adieu sachant le suicide d’André Gorz après le décès de sa femme, je n’aurais pas saisi le sens de l’exercice. Cela a donc marché du coup, j’ai été ému à la fin de ce témoignage d’amour inconditionnel. Je ne connais pas l’œuvre d’André Gorz, qui semble avoir été influent dans la sphère intellectuelle du mouvement de la décroissance et de l’émergence d’une pensée écologique. J’ai été surpris par ses références généreuses pour Jacques Ellul et Gunther Anders sur la critique de la machine:

On y trouvait comme un écho de la pensée de Jacques Ellul et de Günther Anders: l'expansion des industries transforme la société en une gigantesque machine qui, au lieu de libérer les humains, restreint leur espace d'autonomie et détermine quelles fins ils doivent poursuivre et comment. Nous devenons les serviteurs de cette mégamachine. La production n'est plus à notre service, nous sommes au service de la production.

Je ne sais pas exactement dans quelle mesure je m’investirai dans le futur dans la lecture de ses ouvrages plus théoriques, mais cette lettre me donne le sentiment que Gorz était vraisemblablement un chic type.