Ce recueil de nouvelles de Lovecraft contient sans doute ce qu’il a écrit de mieux. « Dagon », « L’appel de Cthulhu » et « Les montagnes hallucinées ». Ces récits d’horreur et d’exploration bénéficient d’une nouvelle traduction de David Camus.
Le premier recueil que j’ai lu de Lovecraft m’avait laissé ce sentiment qu’il avait une imagination incroyable mais qu’il se répétait inlassablement. Je ne l’ai pour cela pas tenu initialement pour un grand écrivain. J’ai toujours l’impression de lire la même nouvelle: un monstre innommable et la folie du narrateur qui s’ensuit. Mais j’ai décidé de donner une chance à ce nouveau recueil et à cette traduction qui présente du contenu que je n’avais toujours pas lu.
Je suis surpris par la qualité de la traduction. Elle me fait presque regretter de ne pas avoir lu directement Lovecraft en anglais pour invalider l’idée que je me fais de lui, à savoir qu’il ne sait pas écrire. Peut-être s’agit-il aussi de ses meilleures nouvelles. Mais là j’ai trouvé l’écriture convaincante. Pour ce qui est des thèmes abordés et des histoires racontées je n’ai pas eu de grosse surprise. A part « Prisonnier des pharaons » qui est une commande un peu faiblarde du magicien Houdini, les autres nouvelles du recueil sont très bonnes.
« Les montagnes hallucinées » est la plus longue des histoires du recueil. Un géologue ayant participé à une expédition en Antarctique avec de nombreux autres scientifiques tente de dissuader la conduite d’une nouvelle expédition dans ces contrées. L’expédition Miskatonic à laquelle il a initialement participé a été un désastre et les événements qu’il relate aux alentours de ces montagnes hallucinées ne doivent selon lui pas se reproduire. D’étranges fossiles y ont été découverts, dont en particulier ceux de créatures vieilles de plusieurs millions d’années. La moitié de l’expédition l’ayant découverte disparaît pendant une nuit de blizzard. L’autre moitié, restée plus loin à l’écart pour des raisons climatiques et logistiques, tente de découvrir comment leurs coéquipiers ont disparu...
Ils découvrent donc que le camp installé par le scientifique Lake a été complètement décimé. Les fossiles ont disparu et tous les membres et les chiens du premier équipage (sauf un) ont été massacrés.
Le narrateur et son équipier Danforth vont alors prendre l’avion pour aller au-delà de ces montagnes hallucinées, à la recherche de réponses quant au massacre de l’équipe de Lake mais surtout pour étancher leur curiosité intellectuelle. Ils y découvrent une immense cité abandonnée vieille de plusieurs dizaines de million d’années. Cette cité labyrinthique regorge de sculptures expliquant l’arrivée de ces être à tête d’étoile à cinq branches sur terre. Là où l’histoire devient intéressante c’est lorsque le narrateur et Danforth, faisant grand usage de photographies et de croquis, en arrivent à la conclusion que ce sont ces « Grands Anciens » qui ont probablement créé la vie terrestre. Ce point n’est pas sans rappeler l’idée maîtresse du film « Prometheus » de Ridley Scott qui imagine les Architectes inaugurés dans le film « Alien » comme créateurs de la vie humaine. Cette idée de Lovecraft est fantastique à cet égard. Si la création de l’homme par une entité supérieure telle qu’un Dieu n’est pas nouvelle, cette histoire de Lovecraft revisite avec brio l’idée que l’homme puisse avoir été créé par un être extraterrestre aux intentions maléfiques. Le narrateur de l’histoire passera tout son récit à insister sur le caractère maléfique de ces entités et des lieux qu’ils ont abandonné.
Œuvre totale dans l’imaginaire de Lovecraft, « Les montagnes hallucinées » évoque le mythe de Cthulhu et le Necronomicon de l’Arabe fou Abdul Alhazred pour unifier son univers. Mais plusieurs choses me font tiquer dans ce récit, en particulier l’histoire extrêmement détaillée de ces Grands Anciens à partir de sculptures uniquement. Mais peut-être s’agit-il d’une affabulation ou d’un délire absolu du narrateur ? Le titre original de l’histoire étant « At the mountains of madness », il est aussi très probable que les énumérations de ce dernier soient imputables à une certaine forme de folie. Chose dont même le narrateur prend conscience au cours de leur déambulation dans la cité.
Pourchassés par un « shoggoth », une créature géante crée par les Grands Anciens, les deux acolytes échappent au sort funeste de Lake et de ses compagnons. Ils parviennent à rejoindre leur avion, mais n’ont-ils pas payé très cher leur expédition en sombrant dans la folie ?
Ce récit est sans aucun doute ce que j’ai lu de mieux de Lovecraft. Même si je commence à connaître ses ficelles d’écriture depuis le temps. En laissant échapper son imagination dans des spéculations géologiques et biologiques, Lovecraft livre un récit puissant et convaincant. Ces spéculations sont soutenues par la maîtrise d’un jargon scientifique qui démontrent une fascination pour les découvertes de son temps. Lovecraft semble lui-même nous mettre en garde contre la tentation prométhéenne de l’être humain à vouloir expliquer toutes choses de la vie. L’exploration, la quête de savoir et de sens sont un mal que l’homme ne veut pas éviter, même lorsque mis en garde par des scientifiques renommés. Je ne sais pas exactement comment Lovecraft se situait par rapport au progrès mais sa maîtrise du jargon géologique en particulier témoigne d’un intérêt manifeste pour la science alors que le fond de ce récit me donne le sentiment qu’il était vraisemblablement très réactionnaire sur certains sujets.
« Dans l’abîme du temps » est la dernière nouvelle du recueil. Elle raconte les étranges rêves et hallucinations du professeur Peaslee après une amnésie foudroyante longue de cinq années. Les rêves terrifiants qu’il fait chaque nuit après avoir retrouvé la mémoire sont des réminiscences d’un envoûtement ou d’une possession d’esprit par un ou plusieurs êtres capables de voyager dans le temps. Ces êtres que le professeur appelle Grande Race ont disparu de la planète Terre il y a de nombreux millénaires. Mais un chercheur australien ayant lu les articles de sciences occultes de Peaslee semble avoir trouvé de curieuses statues en Australie. Le professeur est convié à mener une expédition dans ce pays afin de découvrir le secret de la Grande Race...
J’ai survolé la fin de cette nouvelle, que j’ai trouvé bien trop longue. Pourtant, bien que l’on y retrouve des éléments familiers de la mythologie établie par Lovecraft - Necronomicon, Grands Anciens - elle semble plus élaborée dans sa construction. Même s’il est toujours question de suspecter la santé mentale du narrateur (ici le professeur Peaslee), cette nouvelle propose un twist final qui est inattendu chez Lovecraft. Le professeur découvre à la fin que le manuscrit enfoui dans la cité par la Grande Race était écrit de sa main, ce qui le plonge dans l’effroi et laisse le lecteur dans un mystère aussi grand que toute l’imagination proposée par Lovecraft.
Lovecraft a été tellement influent dans la pop culture qu’une lecture attentive de ses écrits me semblait inévitable. Son imagination sans limite suscite mon intérêt et réussit même parfois à m’effrayer tant il est allé loin dans l’élaboration d’une mythologie de l’horreur. Mais je ne pense pas insister davantage dans le futur avec cet auteur qui semble quand même tourner en rond à un certain moment. Je pourrais résumer en une phrase la trame d’un très grand nombre de ses nouvelles : le narrateur est presque toujours témoin d’un événement extraordinaire et effroyable et sa santé mentale y est mise en doute à un certain point.