Il m'aura fallu du temps pour achever la lecture de ces omnibus de la saga Hellboy scénarisée et dessinée par le talentueux Mike Mignola. Le déroulement complet de l'histoire d'Hellboy s'étale sur quatre volumes, intitulés comme suit: "Seed of Destruction", "Strange Places", "The Wild Hunt" et "Hellboy in Hell". Cette compilation contient les principales histoires de ce personnage mi-homme, mi-démon dessinées par Mignola.
J'ai découvert cette série à sa parution. J'ai très vite été impressionné par le dessin unique de Mike Mignola. Voilà un auteur qui définit un style bien à lui dans le paysage parfois un peu trop lisse du comics de super-héros américain. Mais s'agit-il vraiment d'un super-héros ? A mi-chemin entre le comics indépendant et les comics à la Marvel, cette saga éditée par Dark Horse a démarré en 1994 et aura été très rapidement couronnée de succès. Elle aura même connu des adaptation cinématographiques (signées Guillermo del Toro en particulier).
Hellboy (dont le nom démoniaque est « Anung Un Rama ») est né de l'union d'un démon et d’une sorcière. Il passe son enfance en enfer jusqu'à ce qu'il soit invoqué en 1944 par Raspoutine sous la tutelle des nazis. Recueilli par Trevor Bruttenholm, un expert en occulte et en paranormal, il est élevé comme un humain au sein de l’armée américaine. Adulte, il intègre une agence spécialisée dans la lutte contre les menaces paranormales, le Bureau for Paranormal Research and Défense (BPRD). Epaulé par d’étranges personnages dont une créature amphibienne (Abe Sapien) ou une femme dotée de pouvoirs pyrokinésistes (Liz Sherman), Hellboy parcourt le monde et déjoue des complots maléfiques menés par des personnages aussi inattendus qu’originaux comme Raspoutine le moine fou ou des occultistes nazis. Destiné à amener le chaos sur Terre, Hellboy restera jusqu’à la fin de la saga tiraillé entre sa part humaine et sa nature démoniaque. Jusqu’à sa mort et son règne en enfer.
Qu’est ce qui rend cette saga si unique ? On a déjà évoqué le style graphique si particulier de Mignola dont la filiation avec Jack Kirby est évidente. Truffé d’ombrages sans nuances, d’encrages généreux et aux traits parfois très anguleux. Mais c’est évidemment l’imaginaire très riche développé dans la série qui fait mouche. Empruntant à tous les imaginaires (rite païens, sorcellerie, mythologie, légendes arthuriennes), aux monstres de Lovecraft, à la démonologie ou même une version nazie et occulte de l’Ahnenerbe, cette saga est aussi remarquable par ses nombreuses références littéraires. Citant assez régulièrement des poèmes d’Edgar Allan Poe ou de John Milton (« Paradise Lost »).
Que puis-je retenir de cet univers riche et de ces histoires originales ? Hellboy est un concept en plus d’être un personnage dessiné d’une main de maitre par Mignola. Les thèmes abordés tout au long de la saga sont en particulier l’identité, la nature profonde de l’être et le renoncement au mal. J’apprécie particulièrement les hommages et références qui parsèment ces histoires. Même si certaines scènes me semblent parfois redondantes. Hellboy affronte des monstres ou des démons presque toujours différents mais toujours de la même manière. Être quasi-indestructible grâce à son bras porteur de destruction, je trouve que les scènes de combats sont très similaires d’une histoire à l’autre et manquent à la longue d’originalité. Mais à partir du troisième omnibus l’histoire avance et le destin inévitable d’Hellboy s’accélère. Le monde est destiné au chaos et l’affrontement ultime d’Hellboy avec Nimue (la Dame du Lac dans les légendes arthuriennes) marque un tournant scénaristique qui casse avec la progressive monotonie qui se fait sentir à partir du deuxième omnibus. Hellboy finit donc par mourir et se retrouve en enfer. Mignola dépeint l’enfer d’une manière très originale. La fin de la saga marquée par la destinée accomplie d’Anung Un Rama comme roi d’un enfer débarrassé de tous démons est inattendue. Mignola évite une fin un peu facile. On s’attend à ce qu’Hellboy affronte inlassablement des démons en enfer et parvient ultimement à éviter sa destinée. Même s’il évite de semer l’apocalypse, il ne parviendra pas à refouler sa nature démoniaque. Il tue Satan ainsi que d’autres démons pour accéder au trône de l’enfer, mais sa part humaine le pousse à libérer les âmes damnées. Hellboy se retrouve seul, avec seulement quelques fantômes (dont Edward Grey) pour l’accompagner dans l’éternité.
Cette saga est un chef d’œuvre qui n’est donc pas exempt de quelques petits défauts. Cela fait partie de son charme, sans aucun doute. Des combats sans trop de diversité comme le proposerait un comics de super-héros basique, mais une richesse thématique folle, un imaginaire stupéfiant et des hommages réguliers aux maitres de la culture populaire. Mike Mignola semble être un individu singulier, avec une certaine forme de finesse dans ses références littéraires et un sens de l’esthétique très abouti. Le côté « super-héros » me perturbe parfois mais cette spécificité lui permet sans doute malgré tout de situer cette saga à la croisée des chemins dans le paysage du comics américain. Cette accessibilité et cette générosité sont remarquable.