Petit Rouge

La tache - Philip Roth

28/08/2019

TAGS: roth, roman

A la veille de la retraite, un professeur de lettres classiques, accusé d’avoir tenu des propos racistes, préfère démissionner plutôt que de livrer le secret qui pourrait l’innocenter

Nathan Zuckerman, le narrateur du roman, retrace le parcours de ce professeur, Coleman Silk. Après la disgrâce à l'université d'Athena, le septuagénaire Coleman Silk fréquente une femme de moitié son âge: Faunia Farley. Cette relation crée un nouveau scandale dans ce microcosme hypocrite. Zuckerman va mener l'enquête et raconter la vie atypique de Coleman Silk.

Dès le deuxième chapitre (« Le punch ») on commence à comprendre son secret. On découvre la jeunesse d’un Coleman Silk noir dont la couleur de peau très claire lui permet d'obfusquer ses origines. Il évoluera en tant que boxer pendant ses études de lettres classiques, partira ensuite dans la marine, puis à l'université où il finira doyen.

Il y a beaucoup de phrases à citer dans ce livre:

Trente-quatre ans de surprises sauvages l’ont amenée à la sagesse. Mais c’est une sagesse très étroite, antisociale. Une sagesse sauvage, elle aussi. Celle de quelqu’un qui n’attend plus rien.

Il y a des changements de perspectives narratives audacieux, mais perturbants néanmoins. Par exemple à la fin du premier chapitre avec la narration alambiquée « dans la peau de » Lester Farley, l’ex-mari de Faunia. Toute la narration est racontée dans le style d’un vétéran du Vietnam psychotique. Parfois fois le narrateur passe à la première personne, puis se distancie pour prendre le point de vue d'un des protagonistes, ce qui est particulièrement déroutant.

L’histoire me plait parce que Coleman Silk est habité par une forme certaine de folie. Celle de refuser d’être noir dans un pays qui n'a jamais vraiment assimilé cette couleur de peau après le viol collectif. Ce mensonge d'une vie le pousse même à renier sa famille. Ce n'est sans doute pas un hasard si le deuxième nom de Coleman est Brutus, celui qui tua son père.

Il ne s’agit pas d’un test pour savoir si vous savez ou non vous émanciper des contraintes sociales quelles qu’elles soient

L’Amérique semble être pour Roth le théâtre d’une hypocrisie jamais démentie au cours de son histoire. L’ambivalence d’un pays qui après la ségrégation vire au politiquement correct le plus absurde. Qu’il s’agisse de l’affaire Lewinski qui accompagne le roman en toile de fond ou de cet antiracisme (et aussi anti-sexisme) de pacotille.

Delphine Roux, la jeune professeur Française pédante embauchée par Silk à l’université d’Athena en est le porte-parole le plus éclatant. Elle est aussi l’exemple du féminisme le plus rancunier envers le patriarcat (incarné ici par Silk). Archétype de la femme-battante moderne, elle témoigne dans le roman de nombreuses frustrations qui la pousse à envoyer une lettre anonyme à Coleman Silk, dénonçant sa liaison avec Faunia Farley, jugée indécente. Philip Roth prend un malin plaisir à démonter son parcours de normalienne, son arrivisme et sa solitude de femme cultivée qui échoue à trouver un homme dans un pays moins sophistiqué que la France.

Coleman Silk en reniant son origine se fait donc passer pour un juif. Là aussi, est-ce un hasard s’il décide d’intégrer une communauté d’élite ? Il semble y avoir un antagonisme fort entre la figure du juif (quelqu’un de forcément intelligent) et celle du noir (qui avant l’avènement du politiquement correct est forcément un moins que rien).