Le présent livre n’entend pas démontrer que tu as tort, mais que tu ne penses pas.
Au début j’étais sceptique, les médias ont relayé la sortie de ce livre et Bégaudeau a été invité plusieurs fois sur leurs plateaux. Ce livre suintait la rentrée littéraire ou que sais-je. Avec promo de surcroît. Dès les premières pages je trouvais le ton, le tutoiement un peu ridicule. Et finalement je me suis dit que le fait de parler directement au lecteur était sans doute plus percutant que de se lancer dans une dissertation contre le néo-bourgeois, le bobo ou je ne sais quelle catégorie qui vote Macron, ou même qui vote tout court.
Livre malin. Certes il est très lié à l’actualité, à savoir l’élection de Macron en 2017. Ou pas ? C’est une très belle manière de: d’abord s’en prendre à tous les gens qui ont voté Macron, ensuite décrire la bêtise de nos intellectuels qui le soutiennent. Le coup est double.
Autre mot repoussoir de ta panoplie verbeuse
Il s’agit de débusquer le bourgeois en chacun de nous. Celui qui craint le populisme, le déclinisme et autres mots « repoussoirs ». Mettre en évidence notre hypocrisie.
Dommage qu’il ressente le besoin de se justifier à la moitié de l’ouvrage. Ce n’était pas nécessaire à mon avis, à cet instant là l’essai perd un peu de sa force. Je pense en particulier à ce moment un peu pédant où il est question d’élans littéraires et de suprématie culturelle (les intellectuels critiques de Bégaudeau face aux « intellectuels organiques » du lecteur).
Mais le ton durcit en fin d’ouvrage. Avec de nombreux rappels théoriques sur le marxisme, Bégaudeau porte le coup fatal au bourgeois dans le déni. Plein de hargne, il rappelle que le bourgeois moderne se revendique de gauche uniquement pour des raisons sociétales. En abandonnant le terrain social il le démasque comme une personne objectivement libérale sur le plan économique. Michéa n’est pas cité dans l’ouvrage mais Bégaudeau s’approprie évidemment sa thèse centrale: à savoir que le libéralisme sociétal est la face d’une même monnaie que le libéralisme économique (« la droite d’affaire »).
Macron n’était pas moderne, il était neuf, comme un lave-vaisselle. Son argument de vente tautologique était : prenez-moi car je suis nouveau.
Comment expliquer que malgré la violence exprimée à la fin de l’ouvrage Bégaudeau ait pu être invité sur les plateaux télévisés ? Les médias sont l’exemple frappant des idiots vitupérés dans ce livre: ils ne pensent pas. Mais ils ont une tactique. L’ont-il simplement lu ? Peut-être ont-ils tenté de le récupérer. Peut-être ont-ils besoin d’une grande gueule bien vénère pour faire le « buzz » ou créer des « clashs ». Ou sans doute, raison plausible, parce qu’il a été par le passé l’auteur de romans à succès.
L'essai s'achève sur un twist final. Le lecteur, pris au piège, est prié de démentir sa condition de bourgeois, son hypocrisie et son absence de pensée. Bégaudeau s’impose triomphant d’une joute verbale à sens unique.