Petit Rouge

L’Orchestre noir - Frédéric Laurent (1978)

30/07/2019

TAGS: laurent, histoire

Ce livre figurait dans les références de « Maos » de Morgan Sportès. Je me suis enfin décidé à me procurer la réédition poche.

Enquête menée sur quatre ans, "L'orchestre noir" détaille les activités de nombreux groupuscules néo-fascistes depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’en 1977 (le livre est paru en 1978).

Il est incroyable de constater qu’il y avait des fous furieux d’extrême droite qui, à la sortie de cette guerre, espéraient reprendre le contrôle en Europe. Là où la faillite du nazisme et du fascisme aurait dû couper court à toute tentative de prise de pouvoir.

Lecture passionnante, « L’Orchestre noir » ressemble à un gros épisode de « Rendez-vous avec X ». Il est question de putschs, de groupuscules et d’officines secrètes, d’ex-Waffen SS en goguette, de barbouzes ...

Il est stupéfiant de se dire que les remous post guerre sont issus de confrontations secrètes (mais pas forcément) entre communistes et fascistes. Tout s’imbrique: le rôle de la CIA en particulier. Certaines des organisations néo-fasciste ont été appuyées par les Américains pour contrer le communisme en expansion. L'Italie apparaît à cet effet comme le laboratoire ultime des puissances occidentales, en particulier parce que le PCI est à l'époque l’un des partis communiste les plus important d’Europe. L'Algérie française aura été initialement l'embryon des mercenaires d'extrême droite, via l'OAS en particulier.

Livre bien sourcé, on y trouve ce genre de perles (tout le livre est comme cela):

En 1964, Giannettini fonde, avec quelques Français, l’AMSAR (Appareil Mondial Secret d’Action Révolutionnaires), une sorte de service secret fasciste international financé par les services spéciaux espagnols et les réseaux néo-nazis sud-africains et sud-américains.

Cette enquête se lit presque comme un roman d’espionnage. On y retrouve parfois des personnages récurrents, comme Yves Guérin-Sérac (OAS, chef d’Aginter-Press, sans doute le personnage le plus central de toute cette enquête), Pino Rauti (chef du mouvement fasciste Ordine Nuovo), Stefano Delle Chiaie (terroriste fasciste international) ou encore le prince Borghese, qui interviennent dans de multiples coups d’état ou attentats. Celui de la piazza Fontana à Milan par exemple est l’attentat type qui est initialement attribué par défaut à l’extrême gauche. Les néo-fascistes, avec la complicité de quelques policiers ou officiers corrompus parviendront régulièrement à orienter les enquêtes vers les groupuscules anarchistes en particulier.

Inspirés par la stratégie d’expansion communiste, ces néo-fascistes vont élaborer une « stratégie de la tension » pour déstabiliser les états Européens. Pour parfois réussir, comme l’atteste le coup d’état des colonels en Grèce.

L’auteur est vraisemblablement anti-fasciste. Il fait partie des membres fondateurs de Libération. Il y a quelques interventions de Frédéric Laurent qui ne sont pas toujours neutres, mais est-ce inexcusable ? Il s'agit bien évidemment de la ligne de conduite au vu de l’exposé.

On aimerait bien avoir le pendant d’extrême gauche, mais ce n’est pas le sujet ici. Le cas des Brigades Rouges sera mentionné néanmoins dans la postface. Cette postface, rédigée en 2013 permet notamment de dresser un état des lieux des enquêtes italiennes sur les attentats, au regard des nouvelles découvertes sur les tenants et aboutissants de l’orchestre noir. Il est évoqué Gladio, et surtout (les complotistes apprécieront) du rôle de la loge maçonnique P2 dans l’organisation des attentats et coups d’états en Italie. En particulier sur le pilotage des NAR néo-fascistes de l’attentat de Bologne.

Malgré la fin des « années de plomb » en Italie, avec la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’URSS, ainsi que le renforcement des démocraties en Europe, Frédéric Laurent conclut son excellent ouvrage en indiquant qu’à cet égard les agissements de l’orchestre noir, s’ils n’ont pas disparu, se sont atténués. Mais c’est une autre histoire.