Petit Rouge

Le banquier anarchiste - Fernando Pessoa

04/05/2019

TAGS: pessoa, nouvelle

Mais je vous ai expliqué qu’en suivant le processus qui, selon moi, est le seul processus anarchiste véritable, chacun doit se libérer lui-même

Cette nouvelle de Pessoa sème le trouble par son ambiguïté: est-ce ironique ? Il semble difficile de la prendre au premier degré, même si l’exposé du banquier est clair et suit une logique continue. Où sont les sophismes ? Il est évident qu’il y a une filiation entre le banquier et l’égoïsme individualiste de Stirner dans « L’Unique et sa propriété ». Pessoa était-il Stinerien ? On peut se le demander: il est admirable d’avoir vu en 1922 que le projet communiste porté par la révolution russe était voué à l’échec.

Et vous verrez ce qui sortira de la révolution russe… Quelque chose qui va retarder de plusieurs dizaines d’années la naissance de la société libre…

L’exposé du banquier est implacable: il met en évidence les « fictions » bourgeoises et la tyrannie induite par l’association des libertaires qu’il raille. En effet, toute tentative de projet anarchiste communautaire ne peut aboutir à cause des inégalités naturelles. Je repense à cette interview de Michéa dans « La Double pensée » qui illustre le problème d’une hiérarchie au sein même des mouvements d’extrême gauche. La prise de pouvoir, de décision étant pour la banquier anarchiste sa justification envers l’individualisme.

Le banquier se justifie d’une conception de l’anarchisme théorique et pratique. Si cet exposé est pris au premier degré, il est évident que pour lui « il n’y a rien au-dessus de lui ». La question centrale étant celle de la liberté. Contrairement à Stirner néanmoins le banquier à une cause (Stirner ne met sa cause en rien).

Les convives (ou le convive ?) à qui il expose, justifie sa position ambiguë de banquier et d’anarchiste semblent convaincus au fur et à mesure de l’exposé. Mais le dénouement final semble mettre en évidence une contradiction:

Et qu’un type naisse pour être esclave, et soit par conséquent incapable du moindre effort pour se libérer. Mais alors… dans ce cas… dans ce cas-là, qu’est-ce qu’il a à voir avec la société libre, ou même la simple liberté ? Si un homme est né pour être esclave, la liberté, contraire à son tempérament, sera pour lui une tyrannie.

Fernando Pessoa écrit de façon très claire, je suis conquis par cet exposé qui justifie mes propres positions individualistes. Je pense conserver et relire cette nouvelle quoi me semble être le complément idéal aux formulations théoriques de Stirner.