Je suis resté longtemps à côté de Bataille, qui semble avoir été influent. J’ai enfin fini par franchir le pas en me procurant ce recueil de nouvelles.
Dans « Madame Edwarda », Georges Bataille évoque avec beaucoup de pudeur ses nuits dans Paris avec une prostituée. Je ne sais pas avec certitude si cela est autobiographique mais la lecture de cette nouvelle est une bonne surprise. Je m’attendais à quelque chose de vulgaire, violent et très pornographique. Il n’en est rien ici. Bataille évoque l’érotisme, la mort et l’amour avec beaucoup de subtilité.
L’amour, dans ces yeux, était mort, un froid d’aurore en émanait, une transparence où je lisais la mort
Il est ici question de transcendance: Madame Edwarda, la fille prostituée est DIEU. C’est peut-être à l’origine d’une subversion, d’un scandale. L’écriture est belle, et le propos magnifié par cette pudeur à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Bataille sublime l’éros et thanatos et fournit une nouvelle courte mais percutante.
« Le Mort » est déjà beaucoup plus pornographique. Edouard meurt et laisse Marie (vraisemblablement sa compagne) à moitié démente. Hystérique devant la mort, elle déambule nue jusque dans un bar et s’ensuit divers actes obscènes. Sexuels et scatologiques. Dommage. Ça me déçoit du coup. Il n’est plus question de transcendance, même si l’amour et la mort y sont présents. Je ne perçois pas l’objet, l’intérêt de cette succession d’actes sulfureux absurdes. Juste l’idée que le sexe est lié à la mort. Marie porte son deuil par sa chatte, ses excréments. Je ne suis pas convaincu, même si l’écriture reste belle.
« L’histoire de l’œil », dernière nouvelle de ce recueil, est un autre récit obscène. Racontant les aventures perverses du narrateur et de sa petite amie Simone, Bataille livre une nouvelle finalement très bizarre, plutôt que choquante à mes yeux. J’imagine à l’époque le sacrilège: urophilie et fétichisme inconcevable pour les œufs, les yeux et les couilles de taureau, puis le meurtre enfin. Marcelle, la complice des deux protagonistes, en perd la raison et finit par se suicider. Contraints à l’exil en Espagne, ils vont livrer cours à leur débauche sous l’œil voyeur d’un Lord Anglais. Ultime scène obscène dans une église, où le curé finit par trouver l’extase puis la mort. L’écriture est belle et simple. Il est probable que la stupeur d’une telle lecture soit atténuée aujourd’hui tant le monde est réellement devenu pornographique. Je n’ai en effet pas été choqué par cette lecture. Je ne perçois pas le but profond de Bataille. Profaner le sacré dans un contexte de puritanisme clérical ? Il est parfois fait référence à l’univers infini, alors que la pisse de Simone nous ancre dans le réel. Notre réalité d’êtres humains. Il y a néanmoins une forme de pureté dans ce langage qui fait de « L’histoire de l’œil » une lecture haletante.
Au final, j’ai beaucoup plus apprécié la lecture de « Madame Edwarda », qui m’a semblé plus féérique et pudique. « L’histoire de l’œil » n’est pas inintéressant, mais je reste globalement assez détaché de cette volonté de la part de Bataille d’être sans doute un peu choquant. Ça fait longtemps que je cherche la transcendance via Artaud, ce n’est pas pour renoncer maintenant, même si Bataille ne nous emmène pas dans le caniveau comme Calaferte. Introduction à Bataille, je pense continuer à découvrir dans le futur l’œuvre de cet écrivain singulier.