Petit Rouge

La comète de Carthage - Yves Chaland & Yann Lepennetier

12/01/2018

TAGS: chaland, bd

Non je ne peux pas vous expliquer qui est Phidias, comme je ne peux expliquer à chacun de mes lecteurs tous les mots compliqués qu’ils n’auraient pas compris. Les lecteurs doivent faire des efforts, et tant pis pour eux s’ils ne le font pas. Cela m’indiffère totalement.

Dans la foulée de « Péplum » de Blutch, je me permets quelques commentaires sur cette bande-dessinée qui est ma préférée de Chaland. Tant par le graphisme que par le scénario co-écrit avec Yann Lepennetier. Chef-d'œuvre absolu d’une profondeur et d’une complexité rare, « La Comète de Carthage » est un épisode de la série Freddy Lombard sur fond de fin du monde à Cassis.

Le style de Chaland est déjà plein de maîtrise depuis ses débuts, mais explose particulièrement dans cette œuvre.

Cette bande-dessinée raconte les tribulations de Freddy, Sweep et Dina à Cassis. Ces héros d’après-guerre vivent comme des vagabonds de péripéties en péripéties. Le corps d’une jeune Maghrébine est découvert sur la plage. Le passage d’une comète semble déchaîner la tempête. Freddy se lie d’amitié avec un sculpteur de la région, dont la muse Alaïa est aussi une jolie Maghrébine dont il tombera amoureux.

L’intrigue entremêle histoire d’amour, crime, références antiques (Phidias est le surnom donné par Freddy au sculpteur Carrier-Deleuze), vie de quartier, débrouille… d’une façon tellement maîtrisée que ce qui semble être un méli-mélo de de micro-scènes de vie constitue une histoire incroyablement bien ficelée.

« La Comète de Carthage », puise ses références dans Salaambo et le théâtre antique, mais aussi dans l’actualité de l’époque du récit (le savant fou rappelle Cousteau, les radios parlent de Nagy aux informations…). Mais il s’agit surtout d’une intrigue amoureuse complexe. Freddy amoureux d’Alaïa, qui aime Carrier-Deleuze. Dina qui aime Freddy, elle-même sans doute aimée de Sweep…

Ultimement, Ava, la jeune Tunisienne retrouvée sur la plage, est vengée par la comète dont l’assassin n’est finalement pas Phidias mais des habitants de Cassis. L’œuvre finit par une note d’espoir: les trois vagabonds sont coincés par la marée provoquée par le passage de la comète mais Freddy, qui a fait son deuil amoureux, remotive les troupes pour les sortir de leur pétrin.

Sans doute l’œuvre la plus poétique et mystérieuse de Chaland, « La Comète de Carthage » est toujours une découverte, tant cette bande-dessinée fourmille de références et de trouvailles graphiques. Cette œuvre donne envie de dessiner, de produire et de se cultiver. Je reviens régulièrement sur cet ouvrage pour y puiser de l’inspiration. La mer, les sculptures de Phidias: rien ne semble laissé au hasard. Fait remarquable: les phylactères de pensée n’existent plus. Tout est suggéré par le dessin et le contexte. De très loin ma bande-dessinée préférée de tous les temps. Indétrônable.